J’étais là avant

Un bouquiniste sur le port de Pornic. Je fouille. Je regarde les titres. Je lis quelques quatrièmes de couverture. Quelques euros plus tard j’ai trois livres dans les mains dont « j’étais là avant » de Katherine Pancol. Dès les premières pages, je sais que je vais aimer ce livre. Le retour en TGV sur Paris me le confirmera.
Est-il encore besoin de s’interroger sur l’influence de son terreau familiale sur la construction des adultes que nous devenons? Faut-il encore un roman pour dire ce que toutes les écoles de psychanalyse ont déjà largement expliquées? Ce que tous les faits divers révèlent comme autant de circonstances atténuantes aux tragédies du quotidien? Mais ce n’est ni le sens de ce que j’ai cherché dans cette lecture ni celui que j’y ai trouvé.
Si nous portons les marques de ceux qui nous ont coulés dans leur moule, la chimie de la rencontre amoureuse les recombine avec celles de l’autre. Elle nous révèle à nous même, nous transforme toujours, nous répare parfois. Je crois comme l’auteur, au sens de l’amour à la vertueuse recomposition de soi dans l’autre. Je crois au sens constructif de la différence. Comme notre propre renaissance en un être nouveau, libéré de « ceux d’avant ». J’y crois comme une alternative à la fatalité des stéréotypes, comme une source de progrès pour l’Homme. Je prends du plaisir à cette lecture.
Je ferme le livre, je découvre les critiques mitigées. Je ne les partage pas. j’ai aimé me perdre dans les émotions de chaque tableaux de cette histoire, qui servent l’un après l’autre la lente transformation de son héroïne jusqu’à sa libération. Puissions nous avoir le courage de son parcours.

Les dessous des Chandelles

Moment de télévision. Une femme élégante et presque trop sophistiquée parle de son livre. Il s’agit de Valérie Hervo. Je découvre qu’elle est la fondatrice gérante du club échangiste « Les dessous des Chandelles ». Tout sera sans doute dit et écrit sur le sens de son traumatisme, sur le caractère révoltant de l’omerta familiale, de ce silence complice et culpabilisateur.
Ce qui m’émeut dans son récit, c’est la capacité incroyable de cette femme à trouver au fond d’elle les clés de sa guérison. A refuser jusqu’au plus profond de son âme le statut de victime dont elle affirme qu’il la priverait de sa capacité de rédemption. Elle se revendique en « rescapée » d’une mort prématurée, imposée par un grand père malade de pédophilie et par des parents dépassés, réfugiés dans le déni.
Sa descente aux enfers, jalonnée de traumatismes psychosomatiques et d’hospitalisations, se lit comme sa recherche courageuse au fond d’elle-même des mécanismes de sa propre réparation.
A la lecture d’un tel parcours et quand on sait qu’en France, un adulte sur dix dit avoir été victime de pédophilie, on prend conscience de ses responsabilités de parents et d’adulte. Si le « Connais toi toi-même » de Socrate, s’énonce ici comme un mécanisme de réparation de la victime, il doit aussi se lire comme un mécanisme de prévention entre les mains d’adultes éclairés et responsables. Merci Valérie.

Danser au bord de l’abîme

Delacourt ! J’adore cette écriture et les émotions qu’elle génère. Tout : les mots, les phrases, leur sens, leur son… m’emportent pages après pages dans l’histoire de ce roman d’amour à fleur de peau. Jusqu’à la dernière page, chaque dénouement révèle une héroïne habitée par sa représentation de l’amour. C’est si délicat parfois, qu’on voudrait penser que l’auteur en est une femme.
Mais plus je tourne les pages, plus j’ai néanmoins l’impression que ce fantasme d’absolu amoureux, n’existe qu’au prix du sacrifice du bonheur ordinaire. Je n’aime pas cette idée et la représentation religieuse qu’elle évoque en moi. Le sublime n’existe que dans son incarnation, que s’il est fait de peaux, de chairs, de parfums, de baisés, de murmures… D’ailleurs cette femme prête à renoncer à presque tout pour préserver une forme d’esthétisme amoureux existe-t-elle ? Peut-elle exister ailleurs que dans un fantasme finalement très masculin ?
« Ceci n’est pas l’amour », mais bien une certaine représentation de l’amour, aurait alors pu dire Magritte devant ce tableau. Mais qu’elle meilleure école amoureuse que les histoires que l’on fantasme quand elles nous apprennent à aimer tellement mieux dans la vraie vie ! A lire absolument pour enrichir son âme, sa vie.

L’Eloge du silence

Je referme « l’Éloge du silence » de Marc Smedt et je sais immédiatement qu’il me faudra le relire ; sans doute plusieurs fois, au moins par morceaux. Certains chapitres sont trop denses pour que leur résonance se suffise d’un unique passage et d’un unique état d’esprit du lecteur.
Chacun d’entre eux approche la valeur du silence selon un angle spécifique. Je mets celui sur sa valeur ésotérique à mon agenda de relecture. Je suis plus à l’aise avec celui du langage courant, ou encore avec une analyse d’inspiration plus scientifique.
Devenu un luxe dans nos sociétés bruyantes, le silence s’offre à nous comme une forme de vide qui nous attire et nous angoisse. Il nous coupe du monde extérieur jusqu’à éteindre le bruit de nos propres pensées. Je me dis que faire de cet espace vide, le lieu privilégié de l’apprentissage sur soi et sur le monde, est sans doute le plus merveilleux et le plus angoissant challenge de sa propre élévation spirituelle.

Mademoiselle Julie

Derrière moi, un monsieur se lève et lance des bravos qui traversent la salle avec force. Devant une dame lui fait écho. Je reste dubitatif. Le rideau vient de s’abaisser sur « Mademoiselle Julie », un texte écrit en 1889 par August Stringberg, aujourd’hui mis en scène par Julie Brochen.
La tragédie est un genre qui ne laisse certes jamais indifférent. Dans cette pièce interdite à sa sortie en Suède, on est en pleine transgression des devoirs et des rangs respectifs des valets et des aristocrates. J’essaie de m’installer dans une ambiance cornélienne où l’un et l’autre devront choisir entre leur appartenance sociale et la promesse d’une histoire d’amour. Pas si simple. Le valet se révèle pervers manipulateur et la fille du conte si ce n’est schizophrène, au minimum profondément déprimée.
Dans cette pièce pourtant décrite comme un chef d’œuvre, je me sens dans une histoire entre deux psychotiques qui ont perdu la vision de la frontière entre imaginaire et réel. La mise en scène fait de Julie un pantin désarticulé, dont l’attitude corporelle évoque d’avantage l’éthylisme que la folie.
J’en reste à un message essentiel. On est jamais ni sa classe, ni son rang, ni aujourd’hui ces études ou ses diplômes. C’est ce que réalise Julie en entendant son valet lui parler dans une langue étrangère, lui faire des déclarations dans un langage soutenu ou encore faire référence aux auteurs. Alors toujours aujourd’hui, méfions nous de nos a priori et découvrons nos semblables pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils représentent.

Derrière la porte

Je me souviens m’être interrogé sur l’existence d’une différence entre mon corps et mon moi. La première fois, j’étais à l’école primaire. Je me demandais si j’aurais pu ressentir les mêmes émotions en étant dans le corps de mon voisin. Sans doute ce questionnement sur la dissociation du corps et de l’être interroge-t-il  tous les enfants? Les adultes vieillissant eux, aiment à penser qu’ils sont autre chose que seulement leur corps. Quelque chose d’immatériel qui s’enrichi avec l’âge indépendamment du vieillissement du corps et qui pourrait même lui survivre.
En refermant le terrible témoignage de Claudia, elle est pour moi la preuve que le corps est une vertu de l’âme. Et que le sien abusé, a inscrit à jamais sa souffrance dans une mémoire ineffaçable au plus profond d’elle-même.
Responsables ou non, conscients ou inconscients les pédophiles sont des êtres abjects qu’il convient absolument d’écarter de la Société et dont les crimes ne devraient jamais être prescrits.

La Diagonale du désir

France culture de bonne heure. Sinziana Ravini est interviewée à l’occasion de la sortie de son livre « La Diagonale du Désir« . Je suis séduit par le charme et l’intelligence de cette femme. J’achète le livre.
Je dévore les premiers chapitres avec l’excitation d’une promenade chez un brocanteur. J’aime découvrir chaque pépite cachée au détour des pages : les citations, les références, les puissantes images qui nourrissent l’émotion des tableaux sensuels qui se succèdent. On se sent bien sur cette « rive droite » où l’expression du désir sait s’affranchir des contraintes. Mais en tournant les pages on se sent aussi entrainé par le courant d’une vie qui nous emporte en diagonale sur « l’autre rive ». Celle de la raison, de nos peurs, de nos contraintes; de la vraie vie?
Jusqu’aux dernières pages, j’ai voulu croire que la maitrise de cette oscillation entre rêve et réalité, entre désir et contrainte ne dépend que de nous. Je ne suis pas certain que ce soit la conclusion de l’auteur et de son personnage finalement échoué sur les sables de la raison. Quel roman! à lire absolument comme une méthode d’introspection, comme un baromètre de notre liberté.

Madame Pylinska

Quel plaisir récréatif que la lecture de cette autofiction où Eric Emmanuel Schmitt apprend à jouer Chopin. On m’a offert « Madame Pylinska et le secret de Chopin« , je le consomme comme une friandise.
Non Madame Pylinska n’est pas la caricature d’un professeur de musique dont le comportement original distrait la bourgeoisie Parisienne. Madame Pylinska est seulement l’artefact désinhibé d’une musicienne habitée par le sens du sensible. Elle est de ces musiciens qui ressentent la musique comme l’on peut avoir froid, chaud ou peur; comme une émotion qui se produit dans un circuit court de son cerveau.
Comment effacer la distance entre la technique et l’émotion? C’est bien la question principale de toutes démarches artistiques, de celles qui cherchent à gommer le verbe pour exposer le principe. Si tel est le talent, Madame Pylinska nous rappelle qu' »il n’est pas fait pour amener les gens à soi, mais pour les emmener ailleurs ». Merci Clément pour ce cadeau.

La Blouse roumaine

Posé au premier rang de l’étalage, j’avoue que la première de couverture attise ma curiosité. Je lis la quatrième sous le regard de mon libraire. Il me vente la qualité de l’écriture et le style direct de l’auteur. J’étais venu chercher « La Diagonale du Désir » indisponible, je repars avec « La Blouse Roumaine ».
J’accompagne Alice dans ses promenades américaines dans ces villes que je connais. Je suis ses aventures sociales et amoureuses. Je la regarde jouir des vertus comparées du mariage et de l’adultère. L’histoire serait presque banale, si elle ne m’interrogeait pas sur la valeur de la souffrance dans l’attirance amoureuse. Aime-t-elle plus son mari que son amant? En tout cas elle les aiment différemment et pour des raisons différentes.
Jusqu’au bout de cette dichotomie amoureuse, on se surprend à attendre que la morale, la raison, l’amour… que quelque chose objective un choix. Mais la vie est rarement si manichéenne! Alors en refermant le livre, je me dis que dans les voyages amoureux, le chemin a parfois plus de valeur que la destination. Je connais un grand voyageur avec qui je vais en parler!

Le Fils

Aujourd’hui, un enfant sur cent dans le monde, né avec un trouble autistique. Récemment, un cabinet anglo-saxon réputé, publie une étude qui projette à l’horizon 2025, cinquante millions d’habitants sur Terre atteints de l’un quelconques syndromes de démence. Les maladies psychiatriques seront définitivement à cet horizon, le premier poste de dépenses de santé publique relatif aux maladies chroniques.
« Le Fils », c’est l’histoire de l’adolescent d’un couple divorcé qui déclenche une forme de schizophrénie associée à une profonde dépression. Face à la maladie, à l’isolement, au mensonge, à la souffrance, l’arsenal des valeurs morales et éducatives des parents se révèle rapidement sans effet. Pourtant ils s’y accrochent et s’y accrocheront jusqu’au bout, comme le seul référentiel à partir duquel ils voudraient comprendre, le seul capable de les aider à gérer leurs émotions et leur culpabilité. Comme sans doute beaucoup de parents dans la salle, le sujet m’interroge évidement.
La difficulté est bien là : dans notre capacité à chercher des solutions à la souffrance de l’autre dans son référentiel et non à partir du nôtre. Le sujet dépasse le cadre du scénario. Il y a tellement de situations où des Hommes, des civilisations, se persuadent que leur modèle fera le bonheur d’autres Hommes. Comme dans la pièce, l’Histoire leur donne rarement raison ! C’était il y a quelques semaines, je suis sorti du théâtre ému et songeur. J’aime le théâtre.