L’Elixir d’amour

C’était un matin. L’un de ceux de la trêve des confiseurs, qui offrent aux esprits insomniaques le plaisir d’un vagabondage. Le mien s’interrogeait sur l’existence d’un déterminisme amoureux jusqu’à ce que le réveil d’une maison familiale le fasse sortir de sa rêverie.
J’y suis pourtant ramené quelques jours plus tard, en parcourant par hasard la table des nouveautés d’une librairie Parisienne. « L’Elixir d’amour », de Eric Emmanuel Schmitt tombe sous mes yeux et me ramène à cette interrogation. Je l’achète et le réserve pour un voyage en train du lendemain.
Je pousse chaque page de cette conversation amoureuse, comme l’on tourne la tête machinalement pour regarder une balle s’échanger de chaque côté d’un filet. Les mails se répondent par-dessus l’océan. Le jeu est de qualité. Les effets cachés dans les messages de l’un et de l’autre ne se révèlent souvent qu’à la fin de l’échange, jusqu’au dénouement ultime qui s’esquisse peu à peu.
Tout au long des quelques pages de ce petit cahier, Eric Emmanuel Schmitt offre son talent d’écrivain à ces deux personnages. Mais les clés de cette mathématique au service de l’alchimie des sentiments, ne me priveront sans doute pas du plaisir d’un nouveau vagabondage, ni de celui de cette écriture la.

Un amour impossible

J’avais envie de lire un roman d’amour. Je vais à la FNAC, je choisi un titre en tête de gondole. « Un amour impossible » de Christine Angot. N’est-ce pas là la promesse de quelque chose d’extraordinaire ? D’une transcendance ? J’en fais le pari, je l’achète. Je le lis rapidement. D’abord la rémanence du traumatisme de la deuxième guerre mondiale me prend aux tripes. Elle a modelé des êtres d’une sensibilité supérieure ; à la fois prôches de l’essentiel et en même temps tellement vulnérables. C’est cette frontière qui se traverse au milieu du livre avec une brutalité semblable à celle dont sont capables les prédateurs humains. Quand l’histoire de ce qui n’aurait pu être qu’un non amour au service d’un narcissique, devient celle des ravages d’un pervers, les pages dont la lecture me bouleverse, se succèderont jusqu’au terme de l’histoire.
Je suis sonné. Profondément interpelé par la complexité des rapports mère/fille, par la fragilité des enfants et la responsabilité de parent. Je laisse passer du temps après avoir fermé le livre. Au fond, je crois avoir détesté cette histoire autant que j’ai adoré la lire… et la partager.

 

Le vieil homme et la mer

Ce livre n’était pas pour moi. Celui que j’avais emporté pour ce voyage en train est dans une valise, au fond du caisson à bagages largement encombré. Mon fils Arthur a été plus prudent. « Le vieil homme et la mer » était dans son sac à dos. A la fin d’un magazine, je lui empreinte finalement. Je ne me rappelle pas l’avoir lu. Rapidement l’ondulation du TGV se confond avec la houle de l’océan, les heures passent comme les jours et les nuits jalonnent le noble combat entre le pécheur et son poisson.
Dans ce récit d’un autre espace-temps, l’histoire de ce duel solitaire est simplement exceptionnelle. Pourtant ce qui m’interpelle dans ces images de cinéma, c’est bien la capacité ordinaire de ce vieil homme à sa propre transcendance. Les circonstances ne révèlent rien d’autre de cet homme que ce qu’il était déjà : un homme fort, rempli de la force de son âme, de celle qu’elle lui donne encore jusqu’au bout des doigts de son vieux corps.
En fermant la dernière page, j’étais heureux que mon fils de douze ans ait mis ce livre dans sa liste de lecture. J’étais content de penser qu’il y trouverait de belles et nobles valeurs.

L’Enfant de Noé

J’aime lire Éric Emmanuel Schmitt. Madita le sait. Elle m’offre « L’Enfant de Noé ». Je le lis au Portugal. Dès les premières pages, j’ai l’espoir que l’horreur de la Shoa sera moins cruelle dans les yeux remplis de naïveté et de tendresse de cet enfant de huit ans. Finalement je crois que c’est pire. Comment peut-on comprendre ce qui est si évidement incompréhensible à ce jeune esprit que la vie n’a pas encore pervertie? Apprendre à mentir, à se cacher, à cacher une vérité dont on se sait jamais ce qu’elle porte de mal, mais dont on doit se convaincre à chaque instant de la dangerosité sans jamais en comprendre les raisons.
Un prêtre qui s’applique à être juif, un enfant juif qui voudrait être catholique. Dans cette forme de neutralité religieuse se crée une belle rencontre entre un adulte et un enfant. Elle dit le sens de l’humanisme et de la bienveillance dans les relations entre les Hommes, pour lesquels cette période de notre histoire n’aura pourtant eu que peu de considération.
Merci Madi, c’était une belle lecture.

Les cent deniers jours

Je referme la dernière page du livre. Ma curiosité initiale s’est transformée en un sentiment particulier et plaisant : celui d’avoir vécu un peu plus de mon époque. « Les cent derniers jours », ce sont ceux de Ceausescu, qui en décembre 1989 s’achèveront pour moi sur un écran de télévision. Je revois les étranges images du procès, de l’exécution, puis le souvenir de ces enfants montrés nus et entravés dans ce qui se révèlera n’être qu’une sinistre mise en scène. C’est une ambiance de Noël où le deuil de mon père rode encore. Ces images éveillent ma conscience politique de jeune adulte. Ce livre, dont j’entends la critique sur une radio culturelle un matin, me prend à cet endroit et m’emmène en Roumanie. Je tourne les pages et l’immersion devient totale. Je parcours Bucarest, ses perversions et ses trésors, animé de l’esprit initiatique d’un coopérant, avec ce même mélange de ferveur et de distance. Je suis abattu en découvrant inexorablement l’extrême folie de ces Hommes de pouvoir et la perversion du système qui les protège. Il fait de tout inconnu, de son voisin, de son ami, un danger potentiel. Ne pas sombrer dans la résignation devient héroïque, l’ordinaire sublime ; souvent au bout d’un effort démesuré. En refermant ce livre, je me demande combien d’autres livres il faudra écrire pour témoigner de la difficulté d’une nation, de ses hommes et ses femmes à conquérir, mais aussi à réapprendre la liberté. Bien sûr nous vivons dans un pays magnifique et libre. Mais que savons nous vraiment de ceux qui nous gouvernent ? De leur sens de l’intérêt général sur l’intérêt particulier ? Quand je quitte Bucarest au bout de cette belle traduction, je me promets la plus grande vigilance, pour que les circonstances de mon époque n’hypothèquent jamais celle de mes enfants.

 

Amours

J’ai l’impression de n’avoir jamais appris, ou d’avoir oublié, ce qu’était la société Française il y seulement un peu plus d’un siècle. C’est ce que me rappellent les premières pages de « Amours », le roman de Léonor de Récondo. Selon les règles d’une époque déjà oubliée, chaque catégorie sociale  obéie à son propre stéréotype comportemental. Au tout début du vingtième siècle, ainsi cohabitent les anciens nobles, les bourgeois, les nouveaux riches et les employés de maison. Chacun dans son rôle, dans ses droits au bonheur et les devoirs de sa condition. Mais ni les sentiments, ni les émotions, n’obéissent à aucune convention sociale, fût-elle d’hier ou d’aujourd’hui. Plus ce carcan semble contraignant, plus sa transgression ne fait que sublimer la force du sentiment amoureux. Alors en 1908, quand  Victoire et Céleste s’aiment de cet amour si puissamment réparateur de leurs blessures d’enfance, je veux croire que tous les gens qui s’aiment pourront le faire au-delà de tout ; juste comme l’expression d’une force de vie…

Europa

Je ne me suis jamais caché de mon admiration pour Valéry Giscard d’Estaing. En dépit de son image, j’ai paradoxalement toujours été impressionné par la modernité de sa politique et de sa capacité de vision à long terme. Mes enfants le savent, Arthur m’offre « Europa la dernière chance de l’Europe ». Je le lis rapidement. J’y retrouve le plaisir d’un style connu, simple, direct et précis. En dépassant un a priori de narcissisme qui s’y invite parfois, je traverse avec intérêt les premiers chapitres de remise en perspective de la création de l’Europe.
La puissance intellectuelle et la volonté politique des Hommes et des équipes impliqués dans cette construction parfois complexe, ne peut échapper au lecteur. Néanmoins et sans pudeur, les limites des institutions pensées et mises en place à l’époque sont largement soulignées, en particulier du fait de la dérégulation du système bancaire voulu par Clinton. Dans l’expression simple de sa vision, Giscard veut redonner un poids économique majeur à l’Europe entre les Etats Unis d’Amérique et la Chine de demain. Il ébauche en particulier un plan de reconsolidation d’une Europe des huit pour entrainer à terme celle des vingt-sept, aujourd’hui en panne de succès et surtout de projet.
Je ferme le livre. Je suis en colère. La colère de l’absence de vrais débats politiques sur des sujets si importants pour l’avenir de nos enfants. Celle de l’absence d’une vision politique de la France dans ce débat, quand plus de vingt listes s’étalent à l’entrée des écoles aux dernières élections. La colère de voir l’opinion publique méprisée par des élus sans talents et sans morale, maquillés par des communicants et portés par des attachés parlementaires. Enfin, celle d’un électeur désabusé et que les stupides regrets de Ruquier ne font pas plus rêver que la vision économique du programme du front national.
Peut-être faudra-t-il qu’Helmut Schmidt et Giscard d’Estaing meurent pour que l’on en reparle?

Charlotte

Je discute de mon cahier des charges avec la vendeuse de la FNAC. Il est assez précis. J’ai le projet de partager cette lecture. Elle me propose immédiatement « Charlotte » de David Foenkinos l’auteur de « La délicatesse ». Je l’achète. Je n’ai pas l’impression de le lire. Quelqu’un me raconte une histoire. Je suis incapable d’en interrompre le récit, j’irai jusqu’au bout. Je ressens immédiatement que, dans ce large spectre d’émotions et de sentiments, le pire va côtoyer le meilleur.
Ma défense s’organise. L’idée que les pires contraintes et en particulier la privation de liberté, favorise le génie me fait horreur. Je me convins que sa liberté d’exister n’aurait eu aucun impact sur l’expression du talent de Charlotte Salomon, au contraire. En revanche, je ressens presque physiquement l’effet dévastateur de cette Allemagne antisémite des années 30 sur ces âmes créatives, enfermées, empêchées d’exprimer leurs émotions. En se réfugiant dans la dépression jusqu’à la folie morbide, elles me donnent l’impression d’avoir implosées. Je prends une grande bouffée de notre liberté, comme une bouffée de l’oxygène de l’âme. Je me promets de nouveau de ne jamais me priver d’en jouir.
Nous n’échangerons finalement pas nos points de vue sur cette lecture. Je parcours les dessins de Charlotte Salomon trouvés sur internet. Je suis interpelé par leur modernité. Les clés fournies par la lecture du roman, éclairent la valeur de la couleur ainsi que l’impact du juste équilibre entre gravité et naïveté. Quelque chose de sensuel se dégage. L’horreur du récit de la Shoa m’empêche de m’y laisser aller. J’y reviendrai plus tard.

L’homme qui voulait être heureux

J’aime les livres et j’ai infiniment de respect pour ceux qui les écrivent. Je suis toujours dans le sud de la France. J’achète au coin d’une rue « L’homme qui voulait être heureux » de Laurent Gounelle. Il occupera deux heures de transat, pendant que les enfants glissent sur les toboggans d’un parc aquatique. Après plus de cent pages, j’ai l’impression de réviser la théorie de l’influence de l’irrationnel sur le rationnel, telle que formulée dans les années soixante-dix.
Comme à l’école il y a trente ans, les effets de la prédiction et du placebo sont illustrés par quelques-uns des exemples universitaires les plus connus. L’influence constatée de nos croyances sur la réalité de nos vies, est ici mise en scène dans un scénario digne d’une mauvaise série télévisée. Dans les soixante pages restantes -pour le passage aux travaux pratiques-, le « petit scarabée » découvre qu’en dépassant les limites qu’il s’impose, il est sans doute désormais capable de passer de prof à photographe.
Sincèrement, je suis déçu. Le livre est trop court et le sage de Bali qui change le destin de cet occidental béat en cinq jours, peu crédible.
Sommes-nous capable de neutraliser l’influence de nos croyances sur notre recherche du bonheur? C’est sans doute le sens essentiel de cette question qui a fait de ce livre un best-seller. Je ne regrette pas de l’avoir lu.

La Femme au miroir

Dès la fin du troisième chapitre, je savais qu’il me faudrait quatre cents pages supplémentaires pour apaiser ma curiosité. Je lis « La femme au miroir« . C’est aussi un cadeau d’une amie. Je le termine sur une plage de la méditerranée encore humide du déluge orageux du matin.
A chaque page, mon impatience me pousse à savoir ce qui lie les histoires de ces trois femmes, pourtant décrites en parallèle. Je suis finalement contraint par la densité de l’écriture. Je me laisse porter. La patience me gagne en même temps que le soleil revenu sèche la plage.
Trois femmes, chacune dans leur époque, vont aller au bout d’un destin qui s’impose immuablement à elles. Par des cheminements différents ou cohabitent psychotropes, psychanalyse et lumières de la gnose, elles se retrouvent dans une continuité qui dit le sens essentiel d’un destin divin.
Sommes nous habités par ce type de destin? En avons-nous hérité d’une lignée ancestrale cachée dans nos vies ordinaires? Ce sont assurément les questions que je me posais en refermant ce livre. Le livre du philosophe Eric Emmanuel Schmitt.