Les cent deniers jours

Je referme la dernière page du livre. Ma curiosité initiale s’est transformée en un sentiment particulier et plaisant : celui d’avoir vécu un peu plus de mon époque. « Les cent derniers jours », ce sont ceux de Ceausescu, qui en décembre 1989 s’achèveront pour moi sur un écran de télévision. Je revois les étranges images du procès, de l’exécution, puis le souvenir de ces enfants montrés nus et entravés dans ce qui se révèlera n’être qu’une sinistre mise en scène. C’est une ambiance de Noël où le deuil de mon père rode encore. Ces images éveillent ma conscience politique de jeune adulte. Ce livre, dont j’entends la critique sur une radio culturelle un matin, me prend à cet endroit et m’emmène en Roumanie. Je tourne les pages et l’immersion devient totale. Je parcours Bucarest, ses perversions et ses trésors, animé de l’esprit initiatique d’un coopérant, avec ce même mélange de ferveur et de distance. Je suis abattu en découvrant inexorablement l’extrême folie de ces Hommes de pouvoir et la perversion du système qui les protège. Il fait de tout inconnu, de son voisin, de son ami, un danger potentiel. Ne pas sombrer dans la résignation devient héroïque, l’ordinaire sublime ; souvent au bout d’un effort démesuré. En refermant ce livre, je me demande combien d’autres livres il faudra écrire pour témoigner de la difficulté d’une nation, de ses hommes et ses femmes à conquérir, mais aussi à réapprendre la liberté. Bien sûr nous vivons dans un pays magnifique et libre. Mais que savons nous vraiment de ceux qui nous gouvernent ? De leur sens de l’intérêt général sur l’intérêt particulier ? Quand je quitte Bucarest au bout de cette belle traduction, je me promets la plus grande vigilance, pour que les circonstances de mon époque n’hypothèquent jamais celle de mes enfants.