Europa

Je ne me suis jamais caché de mon admiration pour Valéry Giscard d’Estaing. En dépit de son image, j’ai paradoxalement toujours été impressionné par la modernité de sa politique et de sa capacité de vision à long terme. Mes enfants le savent, Arthur m’offre « Europa la dernière chance de l’Europe ». Je le lis rapidement. J’y retrouve le plaisir d’un style connu, simple, direct et précis. En dépassant un a priori de narcissisme qui s’y invite parfois, je traverse avec intérêt les premiers chapitres de remise en perspective de la création de l’Europe.
La puissance intellectuelle et la volonté politique des Hommes et des équipes impliqués dans cette construction parfois complexe, ne peut échapper au lecteur. Néanmoins et sans pudeur, les limites des institutions pensées et mises en place à l’époque sont largement soulignées, en particulier du fait de la dérégulation du système bancaire voulu par Clinton. Dans l’expression simple de sa vision, Giscard veut redonner un poids économique majeur à l’Europe entre les Etats Unis d’Amérique et la Chine de demain. Il ébauche en particulier un plan de reconsolidation d’une Europe des huit pour entrainer à terme celle des vingt-sept, aujourd’hui en panne de succès et surtout de projet.
Je ferme le livre. Je suis en colère. La colère de l’absence de vrais débats politiques sur des sujets si importants pour l’avenir de nos enfants. Celle de l’absence d’une vision politique de la France dans ce débat, quand plus de vingt listes s’étalent à l’entrée des écoles aux dernières élections. La colère de voir l’opinion publique méprisée par des élus sans talents et sans morale, maquillés par des communicants et portés par des attachés parlementaires. Enfin, celle d’un électeur désabusé et que les stupides regrets de Ruquier ne font pas plus rêver que la vision économique du programme du front national.
Peut-être faudra-t-il qu’Helmut Schmidt et Giscard d’Estaing meurent pour que l’on en reparle?

Charlotte

Je discute de mon cahier des charges avec la vendeuse de la FNAC. Il est assez précis. J’ai le projet de partager cette lecture. Elle me propose immédiatement « Charlotte » de David Foenkinos l’auteur de « La délicatesse ». Je l’achète. Je n’ai pas l’impression de le lire. Quelqu’un me raconte une histoire. Je suis incapable d’en interrompre le récit, j’irai jusqu’au bout. Je ressens immédiatement que, dans ce large spectre d’émotions et de sentiments, le pire va côtoyer le meilleur.
Ma défense s’organise. L’idée que les pires contraintes et en particulier la privation de liberté, favorise le génie me fait horreur. Je me convins que sa liberté d’exister n’aurait eu aucun impact sur l’expression du talent de Charlotte Salomon, au contraire. En revanche, je ressens presque physiquement l’effet dévastateur de cette Allemagne antisémite des années 30 sur ces âmes créatives, enfermées, empêchées d’exprimer leurs émotions. En se réfugiant dans la dépression jusqu’à la folie morbide, elles me donnent l’impression d’avoir implosées. Je prends une grande bouffée de notre liberté, comme une bouffée de l’oxygène de l’âme. Je me promets de nouveau de ne jamais me priver d’en jouir.
Nous n’échangerons finalement pas nos points de vue sur cette lecture. Je parcours les dessins de Charlotte Salomon trouvés sur internet. Je suis interpelé par leur modernité. Les clés fournies par la lecture du roman, éclairent la valeur de la couleur ainsi que l’impact du juste équilibre entre gravité et naïveté. Quelque chose de sensuel se dégage. L’horreur du récit de la Shoa m’empêche de m’y laisser aller. J’y reviendrai plus tard.

Fait divers

Les faits divers ont toujours un caractère extraordinaire. Alors depuis nos vies ordinaires, ils nous apparaissent souvent lointains, presque désincarnés, comme s’ils n’étaient que la théâtralisation médiatique d’un scénario tragique. Et puis un jour, cette histoire pourtant si improbable dans son lointain récit est là, devant toi. Les gens qui meurent, ce couple, tu le connais, tu es lié à eux par une histoire, par des souvenirs par un lien de Fraternité. Cette fois, la tragédie est là, elle te prend à la gorge, au ventre, elle te bouleverse. Elle te rappelle cruellement que l’improbable existe néanmoins et que l’on peut mourir dans une avalanche lors d’une randonnée en raquettes.
« Maman, c’était il y a quelques jours, vous êtes sortis, la maison est encore remplie de ton parfum … » dit une jolie toute jeune fille en regardant les deux cercueils placés devant elle. Les larmes envahissent le funérarium. Je ne retiens pas les miennes. « Amor Fati » dira un frère bouleversé en citant Marc Aurèl. Je veux croire avec lui que les épreuves que nous impose le destin nous rendent toujours plus fort.
Il fait nuit, je roule plusieurs heures sous la pluie les yeux gonflés d’émotion et de fatigue. Je cherche les raisons de trouver la mort moins cruelle. Assumer sa mortalité c’est essayer je crois, de ne jamais rien pouvoir regretter de ce que l’on fait de sa vie. C’est prendre soin des belles histoires qu’elle nous offre. C’est ce qu’ils ont fait et c’est sans doute le plus beau cadeau qu’ils laissent à leurs enfants et à leurs familles.

L’homme qui voulait être heureux

J’aime les livres et j’ai infiniment de respect pour ceux qui les écrivent. Je suis toujours dans le sud de la France. J’achète au coin d’une rue « L’homme qui voulait être heureux » de Laurent Gounelle. Il occupera deux heures de transat, pendant que les enfants glissent sur les toboggans d’un parc aquatique. Après plus de cent pages, j’ai l’impression de réviser la théorie de l’influence de l’irrationnel sur le rationnel, telle que formulée dans les années soixante-dix.
Comme à l’école il y a trente ans, les effets de la prédiction et du placebo sont illustrés par quelques-uns des exemples universitaires les plus connus. L’influence constatée de nos croyances sur la réalité de nos vies, est ici mise en scène dans un scénario digne d’une mauvaise série télévisée. Dans les soixante pages restantes -pour le passage aux travaux pratiques-, le « petit scarabée » découvre qu’en dépassant les limites qu’il s’impose, il est sans doute désormais capable de passer de prof à photographe.
Sincèrement, je suis déçu. Le livre est trop court et le sage de Bali qui change le destin de cet occidental béat en cinq jours, peu crédible.
Sommes-nous capable de neutraliser l’influence de nos croyances sur notre recherche du bonheur? C’est sans doute le sens essentiel de cette question qui a fait de ce livre un best-seller. Je ne regrette pas de l’avoir lu.

La Femme au miroir

Dès la fin du troisième chapitre, je savais qu’il me faudrait quatre cents pages supplémentaires pour apaiser ma curiosité. Je lis « La femme au miroir« . C’est aussi un cadeau d’une amie. Je le termine sur une plage de la méditerranée encore humide du déluge orageux du matin.
A chaque page, mon impatience me pousse à savoir ce qui lie les histoires de ces trois femmes, pourtant décrites en parallèle. Je suis finalement contraint par la densité de l’écriture. Je me laisse porter. La patience me gagne en même temps que le soleil revenu sèche la plage.
Trois femmes, chacune dans leur époque, vont aller au bout d’un destin qui s’impose immuablement à elles. Par des cheminements différents ou cohabitent psychotropes, psychanalyse et lumières de la gnose, elles se retrouvent dans une continuité qui dit le sens essentiel d’un destin divin.
Sommes nous habités par ce type de destin? En avons-nous hérité d’une lignée ancestrale cachée dans nos vies ordinaires? Ce sont assurément les questions que je me posais en refermant ce livre. Le livre du philosophe Eric Emmanuel Schmitt.

Montedidio

Je ne connais pas les auteurs Italiens. Marine m’offre « Montedidio » de Erri De Luca. Je le lis rapidement. J’y prends du plaisir. Je suis emporté page après page, par la description stroboscopique de la vie de ce petit garçon.
C’est un tableau qui se construit doucement et dépeint ce qu’était la vie du prolétariat Napolitain d’après-guerre. C’est une belle écriture. C’est étrange, j’ai l’impression que l’auteur ne fait que prêter sa plume à des personnages en manque d’éducation, pour qu’ils puissent partager avec nous l’ordinaire beauté de leurs émotions. L’amour instinctif entre ces deux adolescents grandis trop vite, fait rentrer une belle lumière dans ce tableau de bord de mer, d’une vie pourtant bien sombre.
Mais n’avoir que l’instinct, pour jouir du bonheur du partage de l’amour est-il suffisant ? J’aurais voulu pour eux, qu’ils eussent possédé plus de mots, pour se dire plus du bonheur de cet amour initiatique. Je crois que les mots de l’amour font vivre les histoires, les font grandir toujours. Je ne me priverai jamais du bonheur de les dire.

Un autre temps

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La montagne. Comment ne pas être impressionné par ce relief immuable qui découpe le ciel d’une lumineuse partition de couleurs primaires? Ici le temps est arrété. La nature nous dit ce qu’elle est, comme le témoignage de ce qu’elle était il y a bien longtemps. Dans cette infinie lenteur, elle nous offre le temps de la recherche de sens, ce suplément d’oxygène qui régénère nos âmes.

L’adultère

L’« adultère » de Paulo Coelho. J’achète le livre dans la gare de Morlaix. J’imagine en venir à bout en quelques heures de TGV, mais mon projet de lecture est finalement contrarié. Je le referme quelques jours plus tard au beau milieu des alpes, face à la montagne.
Au bout de quelques pages, j’aurais vraiment aimé que l’auteur soit une femme. J’ai l’impression que ce voyage avec celle qui va s’interroger sur le sens de sa vie durant trois cents pages, n’en aurait été que plus émouvant de vérité. Même si la suspicion d’intrusion de quelques fantasmes masculins dans la psychologie de cette héroïne rode parfois, rien n’altère la profondeur du questionnement sur sa recherche du bonheur, le sens de la transgression et la valeur de l’amour.
C’est finalement un voyage universel dans un moment de vie, que l’enchainement des chapitres raconte avec talent comme un diaporama. Cette conquête du sens que l’amour donne à la vie est-il le seul moyen de nous protéger de notre dépression ? Chacun construira ses propres réponses en fonction de sa propre histoire. Pour ma part j’ai aimé lire que le mal n’est que dans nos peurs et que regretter fait probablement plus souffrir que l’éventuelle culpabilité de faire. C’était encore un bel hommage à l’amour.

Entre mes mains le bonheur se faufile

Un roman : lieu d’imaginaire où il est si bon de se laisser emporter à la moindre vraisemblance des situations, des personnages et de leurs sentiments. J’ai lu « Les gens heureux lisent et boivent du café » de Agnès Martin-Lugand. On m’offre « Entre mes mains le bonheur se faufile ».
Quelques séances de lecture face à la mer du Finistère nord, me feront traverser cette histoire avec plaisir. Je suis bon lecteur comme on est bon publique. J’avais envie je crois, de lire une histoire d’amour, une belle histoire d’amour. Je ne suis pas déçu. La palette des sentiments qui s’y développent est large. Elle sert une belle représentation de la voluptueuse sensualité de la femme, dont la nudité n’apparait qu’au travers des tenues qui l’habille. Le désir pathologique d’un amour possessif, cohabite harmonieusement avec un rituel amoureux beau autant que banal, dans un contexte qui ne l’est pour le moins pas.
Faut-il croire que les belles histoires d’amour n’existent que comme une guérison des profondes blessures de ceux qui les partagent ? Si c’est la conclusion, j’assume cette maladie pour le bonheur intense de sa guérison. Celle qui nous rend la vie, celle qui nous rend tellement plus vivant.

Le secret

On m’a offert des livres. J’en mets plusieurs dans ma valise. Je garde sur moi celui dont l’épaisseur me parait compatible avec un voyage en train jusqu’à Morlaix. C’est « Un Secret » de Philippe Grimbert. Je ne connaissais ni le livre ni le film.
Au bout de quelques pages, j’anticipe déjà l’émotion dans laquelle me laissera cette histoire dans la grande histoire de la shoah. L’horreur hante ce récit à fleur de peau que l’écriture pourtant pudique, participe finalement à rendre encore plus dramatique.
Au fond l’auteur cherche tout ce qui dans ce drame, aura donné du sens aux vies des protagonistes de cette bouleversante histoire. Comme lui, j’essaie de ne retenir que la force de l’histoire d’amour. C’est une histoire d’amour que l’évidence rendrait belle si elle ne nous interrogeait pas aussi profondément sur ses conséquences sur ceux qu’elle écarte.
A chacun son propre questionnement, mais j’ai l’impression que le narrateur de cette histoire de la diaspora ashkénaze Roumaine a tranché et qu’il a choisi l’amour.