L’ordre du jour

Une heure cinquante, c’est le temps de vol qui sépare Prague de Paris Charles de Gaule. Je le mets à profit pour dévorer la centaine de pages du dernier prix Goncourt : « L’ordre du Jour« , de Eric Vuillard.
On croit avoir appris à jamais la triste histoire de la deuxième guerre mondiale. Pourtant on redécouvre à chaque occasion la médiocrité de ceux qui l’ont déclenché, autant que la négligence coupable de ceux qui ne l’ont pas empêché. De toute évidence, ce récit historique de l’annexion de l’Autriche nous rappelle à quel point la terreur que fera régner le troisième Reich n’en n’est rien d’autre que la conséquence directe.
Le lendemain, je suis au cimetière juif de Prague. Les noms de centaines de milliers des martyrs des camps défilent sous mes yeux, peints à la main sur les murs du musée. Ils sont hommes, femmes, enfants, parents, grands-parents … Ils sont mes semblables de chair et de sang, innocentes victimes de ces autocrates névrotiques et de la faiblesse de peuples aveuglés.
L’émotion me saisit, mes enfants le réalisent. Je leur parle de la « liste de Schindler ». Je veux qu’ils voient le film. Je veux qu’ils sachent que même dans les pires situations, il leur faudra toujours chercher un juste chemin. Celui qui nous protège de la nuisance des grands et petits dictateurs et de l’expression de leurs coupables maladies.

Six ans déjà

Je connais mal les auteurs, les genres et sans doute l’essentiel des critères qui pourraient guider le choix de mes lectures. Moi, je cherche sur les tables de mon libraire les titres qui m’interpellent. « Six ans déjà » de Harlan Coben m’a donné envie. Qui n’a jamais été pris de ce vertige du temps qui passe et qui nous interroge sur le sens que l’on donne à sa vie? De ce besoin de regarder en arrière, comme pour faire de ce passé la source d’une nouvelle ambition vitale. J’évite la quatrième de couverture. Je lis les premières pages, elles me touchent, j’achète le livre. Je n’avais pas vu que c’était un thriller, je le découvre au fil des pages. J’ai un peu l’impression d’avancer dans ces jeux vidéo où les héros sont immortels, où les carrosseries de voiture se regonflent immédiatement après l’impact. Cette mise en scène m’agace mais ne me détourne pas de l’intérêt que je porte au récit. Je le lis comme un roman d’amour. Une histoire où seule la force de l’amour permet aux acteurs d’avancer sur les dangereux chemins de la recherche de la justice. L’amour c’est imposé à Jacke, il nourrit la chimie de son courage, de sa détermination et lui donne la force d’aller vers son destin. Et nous que faisons de nous de l’amour?

Une putain d’histoire

Pas envie de lire un roman d’amour. Je tombe sur un gros bouquin chez une amie. Elle me le prête. C’est « Une putain d’histoire » de Bernard Minier. Dès les premières pages ça sonne comme un bon thriller américain. Le décor et les personnages se mettent en place. La précision de l’écriture est remarquable, je la trouve cinématographique. Elle me plonge dans cet univers insulaire, gris et pluvieux qui brouille la personnalité des protagonistes. Sans doute mon inexpérience du genre fait-elle de moi un bon client de cette intrigue. Au fil des pages, j’accompagne Henry dans sa quête de vérité. Je suis évidemment saisi par le dénouement quelques 600 pages plus loin. N’y a-t-il pas pire prison que celle de la liberté acquise dans le mensonge?
Si c’est la conclusion principale où voulait nous emmener l’auteur, alors le chemin pour y parvenir est vraiment une putain d’histoire!

Le voleur d’ombres

C’est une période de repos. Je passe chez le libraire. Je cherche des titres. Parmi les livres que j’emporte, il y a « Le voleur d’ombres » de Marc Lévy. Je commence par lui. L’épaisseur du livre promet une lecture rapide, compatible avec mon besoin « d’effet immédiat ». Du mythe de la caverne à Peter Pan, nombreux sont les auteurs autant que les dictons populaires qui donnent du sens à cette autre image des choses et des Hommes. Pour Marc Levy, elle est le lieu d’une mémoire profonde de nos mauvais souvenirs.
En donnant accès à son héros à ce que l’autre y a enfouie, il en fait un personnage tendre et généreux. Les rencontres se multiplient et les histoires se croisent. Elles parlent d’amitiés, d’amours de souffrances aussi, qui se diluent dans une narration pourtant plaisante. Deux heures plus tard je ferme le livre, je suis toujours en manque. En manque de ces ombres qui rendent les sentiments plus grands, plus forts.

Quand le diable sortit de la salle de bain

« Quand le diable sortit de la salle de bain » de Sophie Divry, me fait perdre mes repères. Le style direct et simple, ponctué de figures à la Frédéric Dard, brouille les codes de ce récit d’une vie ordinaire et contemporaine. Est-ce un roman ? Une autobiographie ? Un reportage qui montre une autre forme d’une misère cachée derrière d’ordinaires apparences bourgeoises.
Je dépasse la légèreté du ton, parce que je sais que cette histoire existe. Celle d’une trajectoire de vie qui s’infléchie progressivement, parfois jusqu’à la perte de l’estime de soi.
Rien ne semblait prédestiner Sophie à cette forme de précarité économique, ni ses origines sociales, ni son niveau d’études, ni sa personnalité. Pourtant la fatalité du chômage réduit progressivement sa vie à des besoins essentiels, comme les dunes de l’atlantique reculent, rongées sournoisement par une mer montée trop haut.
Derrière son apparence de lecture estivale, ce livre nous interroge sur le nombre d’autres « Sophies » qui remplissaient les amphis des écoles il y a quelques années, devenues aujourd’hui les « Sophies » de cette histoire.

Titus n’aimait pas Bérénice

Le plaisir d’une lecture est certainement le meilleur remerciement pour celui qui vous l’a conseillé ou qui vous a offert le livre. J’ai adoré « Titus n’aimait pas Bérénice » de Nathalie Azoulai. C’était un cadeau de fête des pères et incontestablement un bon conseil du libraire à mes enfants. Au moment où l’on décide de faire disparaitre l’enseignement des lumières des programmes scolaires, c’est une lecture indispensable autant que salutaire. Au travers de la vie de Jean Racine, c’est près d’un siècle de littérature Française que ce livre nous fait traverser. Je suis immédiatement impressionné par l’énorme capacité de travail et l’étendue des connaissances de la littérature ancienne de ces auteurs Français du 17ème. Ils lisent, écrivent, apprennent, récitent encore et encore, comme un musicien ferait des gammes jusqu’au dépassement de la technique. Je suis englouti par les plongées de Racine dans les profondeurs de la langue, par son obsession des mots, de leur sens et de leur musique dans la gorge des actrices à qui ils les offre. Se rappeler ces auteurs, c’est se souvenir des fondements de la république en référence à cette période monarchique, dont certains des pires aspects rodent pourtant encore dans nos régimes actuels. A cette échèle du temps, c’est aussi, garder ouverte une fenêtre presque contemporaine sur l’histoire et les mythologies Grecque et Romaine. Oui j’ai adoré ce livre dont la qualité d’une écriture moderne, sert parfaitement la noblesse de ses origines bien plus anciennes et qui nous rappellent d’où l’on vient, comme pour nous aider à savoir où aller.

 

L’origine de nos amours

Je vole quelques dizaines de minutes à un début de matinée initialement prévu studieux, pour finir ma lecture. J’ai commencé « L’origine de nos amours » dans le train la veille et la nuit qui a suivi mon retour tardif a conservé intact mon désir de terminer cette conversation entre le père et son fils. J’aime l’écriture de Erik Orsenna. Les phrases courtes. Les mots simples et choisis qui nous emmènent en douceur dans la profondeur des sentiments qu’ils expriment.
Faut-il croire à l’existence d’une génétique de l’amour et à son caractère héréditaire ? Nos histoires d’amour ne sont-elles que la conséquence fatale de celles de nos ancêtres et de circonstances particulières ?
Le père en tout cas l’aura vécu comme une malédiction dont il cherche à protéger son fils. Dans cette mise en perspective du temps, s’installe alors un vrai dialogue entre le père et le fils, dont l’essentiel est néanmoins fondé sur le mensonge. Je suis tantôt l’un et tantôt l’autre, dans chacun des lieux qui sont mon quotidien, alternativement dans le souvenir d’avoir été le fils de mon père et dans la réalité de ma relation avec mes trois garçons.
Je ressens un vrai bonheur à projeter dans ma propre vie une relation devenue adulte avec mes enfants. La mort précoce de mon père m’en a sans doute volé l’essentiel. J’espère que la vie sera plus généreuse avec ma descendance, mais qu’à aucun moment je ne leur donnerai l’impression d’instrumentaliser leur vie pour « réparer » la mienne.

Le Roi René

Il y a des biographies que l’on prendrait volontiers pour des romans. Celle de René Urtreger est tellement improbable, que l’on a du mal à croire que c’est la vraie histoire de cet immense pianiste de jazz bop et de ces contemporains les plus célèbres. En tournant les pages de « Le Roi René », je pense à ma lecture de « Charlotte » et au trouble que la cohabitation du meilleur et du pire avait fait naître en moi. Je crois que l’amplitude de l’histoire de ce juif ashkénaze d’origine Polonaise est plus intense encore.
Sa lecture me ramène à cette perspective de la bipolarité de chacun, qui fait de la détresse le tribut du sublime (et du travail). Comme si l’amplitude de la courbe du talent n’existait qu’au prix de son exact symétrique dans l’univers de la déchéance physique et psychologique. C’est une pensée dérangeante quand on sait qu’au premier rang du pire dans cette histoire aussi, figure celle de la Shoa. Quand s’y superpose l’ambiance particulière du milieu jazz professionnel d’après-guerre, on se demande si ces garçons et ces filles de 20 ans avaient la moindre chance d’y survivre sans leur égarement dans les limbes des drogues dures. Il faut absolument voir « Ray », « Bird », « Whiplash », lire le « Roi René » comme autant de témoignages sociologiques et civilisationnels de notre histoire proche. Je sais déjà à qui je vais offrir ce livre qu’un cousin musicien m’a recommandé. Merci Eric.

Et j’ai su que ce trésor était pour moi

Il est des livres dont on a envie de parler juste après avoir refermé la dernière page, de peur de perdre l’émotion dans laquelle ils nous ont emportés. C’est le cas de « Et j’ai su que ce trésor était pour moi » de Jean Marie Laclaventine. Je l’ai emmené en Suisse, je le lis avec infiniment de plaisir en quelques soirées dans un confort ouaté, face à la montagne enneigée.
Quel luxe que de pouvoir mettre son talent au service de son histoire d’amour ! Julia et Marc ont celui des mots et de l’écriture. Alors, ils se parlent, ils s’écrivent. Tantôt pour se dire comme ils s’aiment, tantôt pour le faire dire aux acteurs des scénarios qu’ils s’offrent l’un à l’autre. Dans ce rituel amoureux, où le faux se révèle toujours comme une métaphore sentimentale, leur histoire d’amour prend une forme de réalité augmentée.
Je vais laisser se dissoudre lentement la densité émotionnelle de ce roman que le faux quotidien et les chassé-croisés des personnages ne fait que renforcer. S’il faut partager des histoires pour se dire plus de ce que l’on ressent pour l’autre, alors à défaut de savoir les écrire, partageons celles écrites par d’autres. Partageons des livres, celui-ci absolument … et des fleurs de thé vert.

Cher pays de notre enfance

«  Cher pays de notre enfance » chantait Charles Trenet dans une vision plus bucolique que celle, que nous offrent Benoît Collombat et Étienne Davodeau. Deux cent vingt pages de bande dessinée, illustrant une enquête journalistique approfondie sur les dérives du Service d’Action Civique, de la guerre d’Algérie jusqu’à l’assassinat de Robert Boulin et la tuerie d’Auriol.
L’ouvrage arrive anonymement dans ma boite aux lettres le jour de mon anniversaire. Pourtant l’attention est signée, Jean Marie me le confirmera quelques jours plus tard. Il sait que l’histoire de l’Histoire me plaira. Ce qu’il ignore sans doute, c’est que la carrière politique de mon père dans une petite commune, exposera notre famille aux mêmes menaces de barbouses que celles dénoncées par le livre.
Je revis donc un passage de mon enfance, au milieu des 4L, 2CV et autres tubes Citroën avec bonheur. Pourtant la dérive et l’infiltration mafieuse de cette queue de comète d’anciens réseaux de résistants et de militaires de la guerre d’Algérie m’interroge sur les avancées de nos sociétés dans ce domaine.
A l’ombre de la violence mondiale et des idéologies guerrières s’épanouissent sans doute plus que jamais de puissants réseaux mafieux mondialisés. Des affaires sont toujours enterrées, des juges toujours assassinés, sous les yeux d’un pouvoir politique qui, s’il a légalisé le financement de ses partis, n’en a pas pour autant et bien au contraire, moralisé la vie politique.